Scénariste pour la télévision et le cinéma, Mehdi Ben Attia est finalement passé derrière la caméra pour les besoins d'un projet personnel qui prend sa source au coeur de sa Tunisie natale. Le 12 mai, vous pourrez découvrir son premier long métrage sobrement intitulé "Le fil" au sein duquel trône une Claudia Cardinale impériale. Vision positive de l'homosexualité au sein d'un pays qui conçoit le sujet comme un problème, son long métrage ne plait pas à tous ses concitoyens et fait grincer certaines dents. Rencontre avec un cinéaste à suivre !
Toutlecinema : Présentez-vous en quelques mots...
Mehdi Ben Attia : Je suis né en Tunisie et j’y ai passé les dix-huit premières années de ma vie. Après l’obtention de mon baccalauréat, j’ai réalisé mon souhait consistant à quitter mon pays pour étudier et vivre dans une grande ville comme Paris. A cette époque, j’ignorais mon envie de faire du cinéma. Du coup, j’ai suivi des études d’économie et des cours à Sciences-Po pour faire plaisir à mes parents, qui auraient quand même préféré me voir médecin. J’étais en pleine phase d’incertitude. Je croyais vouloir être journaliste, chercheur, romancier... Puis le déclic est venu à la rédaction de mon premier scénario. J’ai su que c’était ce qu’il fallait que je fasse. Pendant un peu moins de dix ans, j’ai donc écrit des scénarii de cinéma et de télévision pour les autres (ndlr : "Loin" d’André Téchiné) et pour moi. Certains se sont faits, d’autres non. Autour de 2005, j’ai voulu me lancer dans un projet personnel et c’est là qu’est arrivée l’écriture du "Fil".
Y a-t-il une part autobiographique dans "Le fil" ?
Je préfère parler de part personnelle plutôt qu’autobiographique. C’est plus juste. Je connais très bien le milieu dans lequel évoluent les deux personnages. Cette bourgeoisie francophone tunisienne est assez méconnue et très refermée sur elle-même. Elle n’accepte pas facilement le reste de la population qu’elle regarde avec un certain dédain, un complexe de supériorité.
Pourquoi avoir choisi une relation homosexuelle qui ne soit pas perçue comme un drame ?
C’est un thème qui m’est cher et qui, pour ma part, était assez évident à aborder. J’ai souvent été frustré par tous ces films tunisiens qui ne reconnaissent pas ce que je connais, qui brossent un portrait un peu erroné de la Tunisie. Dans la majorité des films arabes, l’homosexualité est présentée comme une anomalie. Dans "Le fil", je ne voulais pas que la relation entre ces deux garçons soit un problème. Raison pour laquelle le point de vue de mon film est un point de vue homosexuel.
Avez-vous obtenu des financements tunisiens et avez-vous eu du mal à tourner sur place ?
Non, aucun financement. Je n’ai jamais pensé pouvoir en avoir pour ce film, notamment à cause de son sujet. Si la Tunisie avait soutenu le film financièrement, je n’aurais pas eu une grande liberté de ton. On m’aurait demandé des coupes et ça m’aurait dérangé. Il faut savoir qu’en dépit des soucis de financement, ça a coincé méchamment au niveau des autorisations de tournage. L’homosexualité heureuse ne plaisait pas. Vous savez... Il y a déjà eu des personnages homosexuels dans des films tunisiens mais aucun d’eux ne trouve le bonheur grâce à l’accomplissement de soi et de l’acceptation de ses désirs. Allez savoir... Peut-être que si j’avais tué un personnage ou qu’un d’eux était allé consulter un guérisseur pour changer d’orientation sexuelle, j’aurais eu une subvention (rires).
Le film sortira-t-il là-bas ? Accepterez-vous qu’on le censure ?
Je voudrais qu’il sorte et qu’il soit montré aux personnes pour qui il est fait. Il n’a pas été réalisé pour sortir uniquement dans les salles de cinéma du Marais. Pyramide détient les droits du film à l’international et pour l’heure, aucun distributeur tunisien ne s’est manifesté. Ils savent parfaitement que mon film existe mais n’en veulent pas à cause des problèmes liés à la censure. Je suis bien évidemment hostile à l’idée de faire des coupures. Je pense qu’ils risquent de me demander d’ôter les scènes d’amour. Pour eux, l’homosexualité n’existe pas en Tunisie. C’est une mode occidentale. La plupart des comédiens tunisiens qui ont contribué à la réussite du film n’ont même pas encore pu le voir, à une exception près. Visiblement, ils sont assez grands pour y jouer mais pas assez grand pour le voir. Cela me rend fou.
Les mentalités bougent-elles ?
On va dire que, par le biais de la mondialisation, certaines personnes prennent des habitudes de liberté dans les pays occidentaux et les importent ensuite en Tunisie. Cette liberté grandissante qu’il y a sur les questions de mœurs en Europe et en Amérique s’instille à sa façon dans les marges des sociétés arabo-musulmanes et je trouve ça très intéressant.
Comment avez-vous fait pour convaincre Claudia Cardinale ?
Le plus simplement du monde. J’ai envoyé le scénario à son agent. Elle l’a lu et a voulu me rencontrer. On s’est vus, ça s’est bien passé et elle a dit oui. Claudia est née en Tunisie et y a passé les seize premières années de sa vie. Elle y retourne régulièrement. Elle est adulée par les tunisiens.
Comment avez-vous choisi vos deux comédiens principaux ?
Je connaissais Salim Kechiouche, je voulais travailler avec lui. Il était idéal pour le rôle de Bilal, notamment grâce à cette autorité naturelle qu’il a à l’image. Au départ, il a hésité parce que ce n’était pas son premier rôle de beau gosse gay. Il ne voulait pas qu’on l’étiquette. Mais en voyant que je lui proposais un vrai travail de comédien, il a accepté d’interpréter son personnage tout en intériorité. Antonin Stahly est ni tunisien ni arabe. Beaucoup d’autres ont fui en courant son rôle, il l’a pris à bras le corps.
La direction d’acteurs est particulièrement intéressante. Comment vous y êtes-vous pris, notamment pour les scènes de sexe entre les deux hommes ?
Il y a eu un travail de mise en confiance. J’ai passé une sorte de deal avec eux. Je voulais sentir l’amour, que les regards soient chargés de désir. Nous sommes partis de ce postulat : plus on croirait à l’attraction physique entre eux, moins on aurait besoin d’aller loin dans les scènes de sexe. Il fallait que le spectateur y croie.
On sent un gros souci de l’esthétique. L’avez-vous travaillée avec attention ou est-ce simplement une impression ?
Oui, je voulais cette image sensuelle que la magnifique lumière en Tunisie peut offrir. J’étais également très pointilleux au niveau du cadre. Il fallait que ce soit beau et accueillant. Sofian el Fani, le chef opérateur du "Fil", est tunisien. Il est le cadreur d’une des deux caméras d’Abdellatif Kechiche sur "L’esquive" et "La graine et le mulet".
Considérez-vous que ce soit un film politique ? Qu’attendez-vous principalement de lui ?
Ce n’est ni un film destiné à bouger les consciences ni un film politique. J’offre simplement ma vision personnelle de la Tunisie par le petit bout de la lorgnette et... qui m’aime me suive d’une certaine façon ! Je ne veux pas donner de leçons.
Vos derniers coups de cœur au cinéma ?
"Greenberg", "Bad Lieutenant" et ma vraie claque de ces derniers mois a été "A serious Man" et son écriture diabolique.
Merci Mehdi !
Mais de rien !